Cette malice est à l’image de l’héroïne de son dernier livre: une princesse irrésistiblement libre et féministe. Sa protagoniste, “complètement décalée” selon les mots de l’auteure, vit sa vie comme elle l’entend, ce qui ne l’empêche pas d’avoir des prétendants, au contraire! “Mais Rebelle ne souhaite pas être enfermée dans un mariage, ce qu’elle veut, c’est sa liberté.”. Elle finit par rencontrer un prince à son image. Ensemble, ils conviennent de la formule de leur bonheur: continuer à faire ce qui leur plaît. Eh oui, c’est bien de la vision du mariage dont il s’agit: “Les mères devraient l’acheter pour concevoir la vie en couple”, s’amuse Claire Clément. L’idée, “ce n’est pas d’inculquer quelque chose, mais de parler de ce que j’ai envie de défendre, d’une vision de ce que pourrait être la vie” nous précise-t-elle. Les parodies de contes de fées ne font plus exception dans la littérature jeunesse. Certains auteurs vont plus loin, comme Victor Coutard, auteur de l’album Un arbre pour ami. Cette histoire, pré-sélectionnée pour le prix Les Pépites du Salon de Montreuil, met en scène l’amitié entre “l’enfant” et un arbre. La particularité: l’enfant n’est pas genré, ils ont imaginé avec l’illustrateur une silhouette neutre. “Ça permet à chacun et chacune de nos jeunes lecteurs de s’identifier à cet enfant” explique l’auteur. “Les lecteurs associent plus souvent l’enfant à un petit garçon, on a donc utilisé du rose pour compenser”, précise-t-il. Pour Bénédicte Fiquet, chargée de mission genre à Adéquations (Ndlr: une association d’information, de formation, et de réflexion entre autres autour du thème de l’égalité femmes-hommes), “le neutre est le plus souvent associé au petit garçon tandis que les petites filles sont représentés avec des accessoires”.
Un marché en mouvement L’offre de littérature jeunesse est considérable. La BNF a répertorié 8632 nouveaux ouvrages rien que pour 2015. Victor Coutard, qui travaille parallèlement à la librairie Les 4 Vents (Paris 11ème) a sélectionné ses coups de cœur 2016, tous non sexistes. Pour lui, “l’idée même du sexisme disparaît derrière le travail créatif. Il existe un vrai fossé entre le choix proposé en librairie et celui offert par les grandes surfaces. Les livres y sont plus souvent sexistes car ils répondent à une logique d’abattage économique qui ne se questionne plus lui-même depuis belle lurette.” Ses coups de cœur: Astrocat de Domic Walliman, Chut, on a un plan!, de Chris Haughton, la série Chien Pourri de Colas Gutman. Bénédicte Fiquet décrit deux catégories: les livres non sexistes et les livres anti-sexistes. Ces derniers ont pour propos la lutte contre les discriminations. La maison d’édition La Ville Brûle en a fait la collection Jamais trop tôt. Marianne Zuzula, la directrice éditoriale, explique: “On propose des albums qui ne tournent pas autour du pot, comme Mon super cahier d’activités anti-sexistes de Claire Cantais”. Il s’agit d’un cahier de jeux classique: coloriages, découpages, sept différences… sauf que chaque activité est l’occasion de réfléchir aux clichés. “On avait peur de faire des livres pour les parents, mais en fait les enfants s’en sont totalement emparés.” “La nouvelle génération de libraires, plus jeune et plus dynamique, est sensibilisée à ces problématiques.” La deuxième catégorie regroupe les livres non sexistes, qui n’enferment pas l’enfant dans des stéréotypes de genre. Amélie Moulin, mère d’une petite fille de 3 ans et d’un petit garçon d’un an, privilégie ceux-ci: “Je fuis les livres de princesse et de camions”.
C’est à la médiathèque qu’elle leur lit le plus d’histoires. “Là-bas, les livres ne sont pas genrés ou alors, très peu.”. Et quand il s’agit d’en acheter, elle évite les grandes surfaces, “c’est l’horreur”. Pour Béatrice Fiquet, les librairies jouent un rôle déterminant. Marylou Clément, libraire à L’Autre Monde (Avallon, Bourgogne) explique: “La nouvelle génération de libraires, plus jeune et plus dynamique, est sensibilisée à ces problématiques. Et il ne faut pas oublier que les femmes sont majoritaires dans le métier.” Les livres genrés qui se vendent bien lui permettent de vendre sur conseil d’autres ouvrages. “Bien sûr que je vends du Chica Vampiro, même si elle est fringuée comme une quadra SM ! C’est un best-seller, on ne peut pas s’en passer.” Des clichés persistants Au stand Chica Vampiro du salon, autre ambiance que pendant la dédicace de Claire Clément. Selma, 12 ans, baskets à scratchs et cartable sur le dos, feuillette le dernier livre avec ses copines. Son look tranche avec celui de son héroïne favorite, une vampire toute de cuir clouté vêtue, star du PAF des enfants. Elle connaît ces bouquins parce qu’elle “regarde la série à la télé quand il n’y a rien a regarder”. Offre ou demande, difficile d’établir pourquoi la littérature jeunesse reste aussi sexiste. Les éditions Fleurus en ont fait un marché. Elles proposent des collections “officiellement genrées”. La collection P’tite fille regroupe des ouvrages comme Ninon joue à la secrétaire ou encore Chloé joue à faire le ménage. Et P’tit garçon, Le 4×4 de Jack ou bien La formule 1 de Gabin. Saubahe Ayadi, responsable communication de Fleurus Enfants, précise qu’il s’agit de “livres d’imitation”. Effectivement, un emplacement est dédié pour que l’enfant colle la photo de son visage sur la silhouette du héros. Sexiste? Pour elle, “non, c’est une histoire de famille! La collection a été créé par une maman, qui les a pensées à l’image de ses petites filles. Puis quand son garçon est né, elle a développé une nouvelle collection.”. Un discours qui, finalement, revient à nier le genre comme étant une construction. Une tendance encore balbutiante Si quelques initiatives existent pour faire bouger les lignes de la littérature enfantine, Bénédicte Fiquet précise que les héros des livres pour enfants sont majoritairement masculins. Et quand il s’agit de héros incarnés par des animaux, c’est encore plus fort. La représentation des adultes est elle aussi sexiste: si l’homme peut incarner des figures diverses, la femme n’apparaît qu’à travers son statut de mère.
L’amitié entre les filles et garçons est très rarement traitée, et si c’est le cas, le jeune homme joue le rôle du protecteur. L’éducation à ces problématiques semble donc d’autant plus cruciale: “Rester vigilant sur ces questions peut permettre aux parents et aux professionnels d’y voir plus clair”, ajoute Bénédicte Fiquet. Elle rappelle que l’enjeu est de taille. Le livre “a une puissance que les parents investissent”. Il est très valorisé dès le plus jeune âge: “Les adultes considèrent que le livre participe à faire grandir l’enfant”. Par ailleurs, ces moments de lecture sont souvent intimes: “La lecture du soir correspond à un moment tendre”, précise Bénédicte Fiquet. Les images qu’ils installent dans les têtes viennent confirmer ou infirmer l’ordre social, “et souvent viennent le confirmer”. Le défi est donc de taille pour les jeunes parents: grâce à des lectures bien choisies, ils pourront peut-être combattre au quotidien, et surtout très tôt, les représentations genrées qui ne cesseront de jalonner la vie de leurs enfants. Léa Capuano Cet article a été réalisé par une élève de la Street School, formation gratuite au journalisme par StreetPress.
CHEEK MAGAZINE : Enquête Les livres pour enfants sont-ils forcément sexistes? Publié le 30 janvier 2017